n°1 - Cybertrucs
n°2 - Nucléaire, Corses
n°3 - Pornographies
Chroniques de Preov - n° 0
Le pourquoi du comment et verse viça
Faut bien commencer par parler de ma vie : j'habite dans un pays pauvre d'Europe
Centrale depuis plus de trois mois, et n'y exerce aucune espèce d'activité
économique. Cette longue période de chômage en terre étrangère,
des lectures, des rencontres bonnes ou mauvaises, l'avancée dans ma vie
d'homme, et sûrement d'autres raisons, m'ont conduit à me radicaliser.
C'est-à-dire que, simplement, je me donne de plus en plus raison lorsque
je ressens de la tristesse, du dégoût ou de la colère envers
le monde dans lequel on essaie de nous faire vivre. Conséquemment, je
m'éloigne peu à peu des positions politiques d'individualisme
petit-bourgeois qui ont été, avec peu de variation, les miennes
jusqu'à présent.
Ainsi, plutôt que de continuer à faire un usage négatif
de ma liberté (que je définirai dans une perspective existentialiste,
lapidairement et sans aller trop avant dans la discrimination conceptuelle :
soit comme une possibilité de choix existante et devant être saisie
dans la conscience individuelle pour être), j'aimerais me faire porteur
d'un projet positif. Donc, ma priorité dans la vie cesse dorénavant
de consister en un hédonisme mollasson, c'est-à-dire en un relatif
encrapulage de mes murs avec la bénédiction de cette société
" tolérante " ; je vais en revanche chercher, pour moi et avec
ceux que ça intéresse, à développer ou contribuer
au développement d'autres moyens de subsistance que l'exclusif service
du dieu Marché et de son prophète Profit.
Bon, c'est bien beau de causer d'autoproduction alternative antimondialiste
tout ça, mais qu'est-ce que tu veux faire en pratique, gars ? Ben, justement,
je n'en sais foutre rien. Je me sens au tout début de quelque chose ;
j'ai, jusqu'ici, toujours agi seul et pour mon propre compte, et n'ai pas nécessairement
la vision assez large pour savoir par où commencer. En gros, comme beaucoup
de ceux que je connais, je ne sais pas vraiment pour quoi je suis, mais je sais
bien précisément contre quoi je suis. Autant commencer par là,
ne serait-ce que parce que pousser un bon coup de gueule de temps à autre,
ça fait du bien.
Et voilà donc la raison d'être de ces envois, qui seront sûrement
assez réguliers (genre deux fois par mois, chaipas) : je voudrais parler
des choses qui me tiennent à cur en en faisant profiter ceux que
j'aime. Il s'agira évidemment, le plus souvent, du problème qui
m'est fondamental, soit des rapports entre l'individu et la collectivité
; mais vous entendrez aussi parler de géopolitique, de musique, de littérature
ou d'autres thèmes encore à déterminer. Malgré le
risque de ne prêcher qu'à des convertis, ça me semble une
base assez cohérente et concrète pour une éventuelle action
future critique et po-po-politique.
Il n'y a, bien entendu, aucune espèce de copyright sur ces écrits
; vous êtes libres de les utiliser de la manière que vous jugez
bonne, voire de les transmettre à qui vous voulez ; s'ils vous ennuient
ou dérangent, il vous suffit de répondre en me le laissant savoir
et j'en arrêterai la diffusion auprès de vous ; même si je
cherche a priori à me documenter un peu sur les sujets que j'aborde,
je peux très bien faire des erreurs ou inexactitudes, et il serait bon
de me les signaler ; d'ailleurs, ne voulant pas vous assommer avec une liste
interminable de sources, je n'en donne aucune, mais les citerai sur demande
; enfin et surtout, malgré un ton appelé à être parfois
véhément, je cherche plus à échanger des idées
qu'à les imposer, et toute réaction, suggestion, absolution, vasoconstriction
est bien évidemment la bienvenue.
Ma prose vous parvient sous la forme de fichiers RTF, lisibles a priori par
n'importe quel éditeur de texte un peu évolué. Je peux
aussi envoyer en texte seul, pdf, Word, Star Office, salade-oignon-tomate, ketchup-mayonnaise-piment-sauce,
suffit de demander.
Chroniques de Preov n°1
Cybertrucs et surveillance technologique
On vit à une époque où on entend pas mal parler de cybertrucs
: cyberculture, cybercafés, cybernautes du cyberespace, cybernétique
et cybernéticiens, ou plus récemment cybercriminalité et
cyberterrorisme. On se demande un peu, à force, ce que ça veut
vraiment dire. Journalistes et politiciens mettent-ils le préfixe "
cyber " à toutes les sauces par pur opportunisme lexical, histoire
de moderniser un brin leur lexique trop systématiquement poussiéreux,
pompeux et à peu près totalement vide de sens ? Ou en font-ils
usage en parfaite connaissance de cause ? Je pense qu'il faut privilégier
la deuxième hypothèse : en effet, le mot anglais cybernetics (première
occurrence en 1834) dérive du grec kubernêtike, issu du verbe kubernan.
Ca ne vous rappelle rien ? En latin, ça a donné gubernare, eh
oui, " gouverner ". La cybernétique, c'est la science du gouvernement
par les machines, comme est prêt à nous le dire tout dictionnaire
un tant soit peu honnête. Il faut donc, lorsque l'on réfléchit
à ce que l'on nomme (d'une manière très floue) les nouvelles
technologies, considérer qu'il s'agit avant tout de servir et protéger
ceux qui exercent le pouvoir, c'est-à-dire, en dernière analyse,
de surveiller et punir (merci Foucault d'avoir réuni ces verbes, qui
vont ensemble comme Michelle et ma belle). Je voudrais essayer, avec les maigres
informations dont je dispose, d'examiner quelques-uns des moyens que se sont
donnés nos bien-aimés dirigeants.
De fait, les dernières années ont vu se développer tout
un arsenal de techniques de surveillance, qui font souvent appel à la
technologie pour parvenir à leurs fins. Quelques exemples au hasard :
les lunettes infrarouge pour vision nocturne ; le microphone parabolique, qui
permet de détecter des conversations à plus d'un kilomètre
de distance ; sa version laser, capable de surprendre n'importe quels propos
derrière une fenêtre fermée dans la ligne de mire ; la caméra
stroboscopique danoise Jai, qui prend des centaines de photos en quelques secondes
et photographie individuellement tous les participants d'une manifestation ou
d'un défilé ; ou encore les systèmes de reconnaissance
automatique de véhicules, capables de suivre des automobiles à
travers les rues d'une ville via un système informatique géographique.
Toutes ces merveilles, seulement surpassées en beauté par un canon
16 mm ou une mine antipersonnel à dissémination horizontale, peuvent
certes être d'utilité pour suivre précisément les
activités forcément subversives, dangereuses et antisociales des
militants des droits de l'homme, journalistes engagés, responsables étudiants,
représentants ou simples membres de minorités, leaders syndicaux,
dissidents & insoumis, délinquants & drogués, révoltés,
réfractaires & rebelles, séditieux & mutins, autogérés
& autonomistes temporaires, en bref de toute personne pouvant être
perçue comme s'opposant d'une quelconque manière à la très
égalitaire et démocratique marche du monde ; elles font cependant
figure de gadgets ridicules à côté des dispositifs développés
à grande échelle au cours des années 90 par ces grands
progressistes étasuniens que sont les agents du FBI ou de la NSA, genre
Echelon, Carnivore ou plus récemment Lanterne Magique.
[NB : je précise tout de suite que j'ai assez entendu parler de "
l'effet 11 septembre ". C'est une évidence par trop niaise qu'un
tel événement sert les intérêts sécuritaires
des nations, et je préfère n'en rien dire].
Echelon
Ca, c'est vraiment bandant, mettre l'ensemble des ressources offertes par la
technologie au service d'un système d'interception et de contrôle
des communications & mouvements & opinions de toute la planète
(je dis ça parce que je pense comme Orwell que la liberté de pensée
n'existe que si on dispose de celle d'expression), tisser un vaste filet aux
mailles bien resserrées qui ne laisse rien passer de ce qui voudrait
exister dans sa différence.
Le fonctionnement d'Echelon est au fond assez simple : les Etats-Unis ayant
une maîtrise de l'espace orbital terrestre équivalente à
celle des installations nucléaires à la surface du globe (eh oui,
il y a par exemple deux autres télescopes US du type Hubble au-dessus
de nos gueules, mais ils sont militaires, tournés vers nous, et destinés
à la noble mission du Renseignement), ils se servent de leur dense et
puissant réseau satellitaire pour intercepter l'ensemble des communications
par téléphone, fax ou mail. 120 satellites espions s'occupent
du captage atmosphérique, tandis que quelques sous-marins vont tranquillement
et joyeusement mettre en place des " bagues " sur les câbles
sous l'océan, en fait des manchons équipés de bobines qui
captent le champ magnétique émis à l'intérieur.
Les informations interceptées sont transmises à quelques dizaines
d'ordinateurs Super Cray, qui les décryptent, les traduisent, les filtrent
à l'aide de dictionnaires de mots-clés, puis les soumettent à
une analyse sémantique poussée (et je sais, pour y avoir touché
un peu, que si on a fait une bonne modélisation linguistique au départ
et qu'on dispose d'une puissance de calcul suffisante, on peut obtenir ainsi
des résultats assez époustouflants). Les surveillants des services
secrets n'ont plus qu'à sélectionner les messages " intéressants
" présélectionnés, et à les envoyer au gouvernement
étasunien, qui à son tour pourra les transmettre à certaines
entreprises.
C'est donc tout bénef pour patrons et politiciens étasuniens,
les uns disposant par procuration d'un excellent outil d'espionnage industriel
(par exemple Thomson a perdu un marché de 1,4 milliards de dollars de
radars pour les brésiliens au profit de l'étasunien Raytheon,
et Airbus s'est fait souffler par Boeing des contrats d'avions saoudiens), et
les autres d'une très bonne monnaie d'échange avec les industriels
ou les autres gouvernements (la France par exemple ferme sa gueule vu que, grâce
à Echelon, elle a bénéficié d'informations sur les
meurtriers de l'ancien premier ministre iranien Chapour Bakhtiar) autant que
du plus efficace biais de surveillance jamais conçu. Et là où
c'est bien marrant, c'est que, si le centre de traitement des données,
qui emploie quand même 38000 personnes, est en Virginie, un maillon essentiel
du réseau se situe à Cheltenham (UK), et que des relais sont installés
un peu partout au Canada, en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle Zélande,
mais aussi au Japon ou en Arabie Saoudite par exemple, l'espionnage allant évidemment
de pair avec la présence de troupes au sol. Soit dit en passant, c'est
pas ça qui les a fait attraper Ben Laden, hein. Mais peut-être
n'ont-ils pas vraiment intérêt à le faire ? On a encore,
dans ce cas, un exemple de situation où l'intérêt économique
et occulte (exploitation pétrolifère au Kazakhstan, pipe-line
d'Ouzbékistan) prime sur l'intérêt (si j'ose dire) humain
et affiché (recherche et capture d'un désigné commanditaire
d'attentats antioccidentaux).
Mais nous dérivons un peu. Histoire de pas pousser trop la parano, je
dirais quand même que la portée d'Echelon est fatalement limitée
par la croissance exponentielle de la circulation d'information sur le Réseau
(je crois avoir lu qu'au cours de l'année 2000, l'échange d'information
sur Internet avait été équivalent à 2 exaoctets
de données, dont 1 de redondantes ou inutiles).
En tout état de cause, comme la riposte à Echelon n'est décidément
pas à attendre du côté gouvernementalo-institutionnel, il
me semble que les individus peuvent déjà lui compliquer un peu
la tâche. Vous avez dû recevoir ce mail avec 12000 mots-clés
susceptibles d'être chopés par lui, qu'il fallait envoyer un peu
partout à l'occasion du " jam Echelon day ", dont l'efficacité
fut à mon avis aussi grande que la fameuse et fausse pétition
pour les femmes afghanes, les prétendus activistes à la base de
cette si ingénieuse initiative n'ayant pas pensé une seconde qu'un
système de plusieurs milliers de billions de milliards de kopecks comme
celui-ci disposait de maintes protections très sophistiquées contre
ce genre d'attaque.
Pour ma part, n'ayant évidemment que très peu envie qu'un amerloque
de mes couilles vienne renifler ma prose ou écouter mes déclarations
téléphoniques, je songe plutôt, malgré la ridicule
interdiction de la loi française, à crypter mes échanges
électroniques avec une clé de 128 bits, et à faire de même
si réalisable pour le téléphone en utilisant la téléphonie
IP, qui est appelée à se développer. Je tiendrai au courant
ceux que ça intéresse.
Lanterne Magique
Autre fructueuse réalisation de nos amis étasuniens, décidément
bien motivés pour l'obtention d'un troisième Big Brother Award,
le système " Lanterne Magique ". Il s'agit cette fois-ci de
t'espionner directos chez toi, à l'aide d'un espion de clavier (je crois
qu'on appelle ça, en France, la " téléperquisition
", ou autre néologisme foireux recouvrant le hacking légal).
Ca consiste en somme en l'usage d'une technique de cyberdélinquant (nous
y revoilà !) qui consiste à pouvoir suivre en direct ou en différé
les saisies effectuées sur le clavier, ceci à l'aide d'un "
sniffeur " qui interceptera celles-ci et les enverra par le biais du réseau
au surveillant, bien pépère dans son bureau. On peut choper comme
ça, disons, tiens, au hasard, le mot de passe administrateur de la machine
Et un juge du New Jersey nommé Nicholas Politan (ce nom !) vient de statuer
(10 janvier) qu'il était constitutionnellement tout à fait correct
et justifié que le FBI utilise un pareil système pour surveiller
les activités électroniques d'un quelconque citoyen suspect. Le
contenu des informations ainsi interceptées est alors classé sous
l'étiquette " sécurité nationale ", et on n'en
peut plus rien savoir. Décision rendue au cours du procès d'un
petit mafieux de Las Vegas nommé Scarfo, accusé d'avoir ourdi
des paris illégaux, qui protégeait ses fichiers et ses mails avec
le logiciel de chiffrement Pretty Good Privacy, et voulait savoir (normal) ce
que les gouvernementaux avaient fabriqué dans sa machine et avec ses
données.
C'est là un exemple à suivre pour les démocraties à
la recherche de sécurité, et le gouvernement français a
fait preuve de laxisme en n'intégrant pas pareille disposition à
la Loi de Sécurité Quotidienne, loi beaucoup trop tolérante
d'ailleurs. Les resquilleurs de train, par exemple, eh ben moi je te dis Gaston,
y faut les passer à la guillotine. Et puis pourquoi est-ce qu'on ne castrerait
pas les drogués, comme ça ils ne pourraient plus se reproduire
et on vivrait dans une société propre. Allez remettez-moi ça.
(
)
Enfin bon, les écoutes présidentielles de Mitterrand (entre autres)
ont bien montré que l'autorité se torche avec la loi. Je préconiserais
donc d'écrire ses lettres d'amour, brûlots politiques et récits
de traumatismes sur papier vélin surfin et de les détruire aussitôt
par le feu, ce qui n'est qu'une solution transitoire en attendant la mise au
point du reconstitueur moléculaire. C'est presque drôle parfois
comme des gens comme Kafka et Orwell, qui étaient persuadés de
n'écrire que leurs plus noirs et irréalistes fantasmes, finissent
par acquérir une stature de prophète
La biométrie
En plus de te reprocher les opinions antisociales contenues dans ta correspondance,
on pourra bientôt te choper rien qu'à partir de ta gueule. En effet,
une autre technique de surveillance bien jouissive dont on entend de plus en
plus parler, c'est la biométrie. Quand une espèce est en voie
de disparition, il arrive que des biologistes en capturent certains spécimens
et les baguent pour les suivre à la trace. Eh bien, la biométrie,
c'est la même chose pour l'homme, mais à partir du seul signalement
anthropométrique.
C'est encore assez foireux, vu l'épisode du Superbowl de Tampa (en Floride,
devinez dans quel pays
) : les autorités étasuniennes ont
tenté de capturer des criminels en fuite en installant des dispositifs
de reconnaissance faciale à l'entrée, et en comparant les tronches
de beaufs qui défilaient avec un fichier de 30000 (trente mille) personnes,
prétendument composé uniquement de criminels (d'ailleurs, quand
bien même il l'eut été, qu'est-ce que ça aurait changé).
L'American Civil Liberties Union a réussi, à force de lobbying,
à se procurer les résultats de l'expérience :système
déficient, erreurs d'identification, aucune arrestation. Mais, dans la
même ville, le même genre de dispositif continue à tourner,
et je suppose à se perfectionner, dans le centre commercial Ybor.
Le problème n'est d'ailleurs pas seulement dans l'usage institutionnel
de ce genre de saloperies (la vidéosurveillance systématique est
un fait dans toutes les villes françaises depuis longtemps, sans que
personne ne s'en plaigne autrement que mollement et sur le plan des principes).
Il réside surtout dans la commercialisation qui en est faite. Je crois
en effet qu'un développement toujours plus grand des technologies en
émergence est inexorable : ne résistons pas au plaisir de citer
encore une fois cet éminent professeur d'Oxford qui prétendait,
en 1878, que " une fois l'exposition de Paris terminée, la lumière
électrique s'éteindra en même temps et on n'en entendra
plus parler " ; ni à celui de rappeler les propos visionnaires du
président d'IBM, qui, en 1943, considérait qu'il existait "
un marché mondial pour cinq ordinateurs " (sa compagnie n'ayant
en revanche pas manqué de se positionner comme leader sur le marché
en pleine expansion des camps de concentration) ; et chacun a pu ouïr des
antitechnoïdes pour qui la mort de telle ou telle technologie est imminente.
Cependant, l'histoire nous enseigne qu'une technologie, une fois commercialisée,
est appelée à rencontrer un grand succès commercial.
J'aimerais d'ailleurs être assez sociologue pour pouvoir commencer à
expliquer pourquoi les technologies de surveillance se développent à
ce point, alors que la criminalité est à la baisse dans presque
tous les pays. C'est trop facile de parler de sentiment d'insécurité.
On connaît tous une histoire comme celle de la vieille dame qui achète
une microcaméra de surveillance ultrasophistiquée pour savoir
qui marche sur les fleurs de son jardin, mais le désir de surveiller
ne peut être seulement lié à celui de protéger ses
biens et possessions. Je crois qu'on en arrive assez vite à la volonté
de punir, de tirer pouvoir et avantage de son contrôle sur autrui. Pouvoir
dire " je t'ai vu ", " je sais que tu fais ça " ou
" je t'ai suivi à la trace " devient plus fondamental que de
prendre le temps de discuter ; posséder l'information pour soi seul,
l'obtenir par des moyens technologiques est préférable à
l'acquérir par le dialogue et l'échange. L'arsenal de dispositifs
de reconnaissance biométrique qui est en déploiement commercial
préfigure un monde où chacun peut se prendre pour Big Brother.
Exactement Paranoid Android.
Mouchards
J'ai appris avec pas mal de stupéfaction le prochain projet de cette
si respectable, novatrice et ingénieuse institution qu'est la banque
européenne. Ces autorités éclairées envisagent de
doter d'ici à 2005 chaque billet de 200 euros et plus d'un identifiant
électronique par radiofréquence.
Electronéquence par radiofric, keskecé dira-t-on. Il s'agit tout
simplement d'implanter aux billets un semi-conducteur flexible émettant
un signal en radio fréquence, exactement comme les autocollants tellement
chiants à enlever sans se faire capter par les vigiles sur les CD et
DVD à la FNAC. Le semi-conducteur en question contiendra, évidemment,
un numéro de série, mais aussi d'autres informations captées
par divers dispositifs "récepteurs", et on évoque la
possibilité qu'il soit réinscriptible, sans que l'on sache quelles
autres informations ou données il pourrait contenir. Les firmes Philips
et Infineon admettent être au courant de ces grands et utiles projets,
mais n'en disent pas plus, devoir de réserve oblige.
Produit en masse, ce dispositif d'euro-mouchard reviendrait à environ
0,25 €, ce qui limite a priori son utilisation aux grosses coupures. Parce
qu'il s'agit avant tout de jouer les indics pour notre euro électrofréquanique
; bien sûr, les risques de contrefaçon seront encore réduits,
on pourra compter une liasse sans la toucher avec des récepteurs-calculateurs
réglés sur la fréquence du truc, gna gna gna gna gna gna
; mais la toute première possibilité offerte par ce système
est celle d'un contrôle abusif de toutes les transactions. On peut très
bien imaginer que les douaniers/flics/gendarmes apprennent du billet n°
34986GDU9543FI retrouvé sur mon dealer de champis que celui-ci a été
retiré par Mr Julien Guillaume, né le 16/10/1979, au guichet de
la Poste-Cathédrale à Strasbourg il y a deux jours, trois heures
et vingt-huit minutes, casier judiciaire vierge, il a les yeux bruns et de l'acné,
d'ailleurs bip bip il habite juste là au-dessus, son rythme cardiaque
m'indique qu'il roupille, vous pouvez le cueillir en douceur.
Et j'imagine bien que ce projet de billet de banque mouchard ne se limitera
en aucune sorte à l'euro, qu'on doit bien pouvoir intégrer ce
genre de dispositifs à n'importe quelle autre monnaie ou carte ou même
corps humain : après toute condamnation, mise en place d'un émetteur
sous-cutané provoquant la désintégration si passage dans
une zone interdite aux délinquants, ce genre de mauvaise SF n'est plus
un fantasme lointain.
Voilà, en dernière analyse, le vrai sens du cybertruc : il s'agit
pour les dirigeants (économiques ou politiques, là n'est pas la
question), en s'appropriant une technologie, de s'en réserver les applications
les plus restrictives pour les libertés publiques, puis, en en permettant
et contrôlant la commercialisation, d'en provoquer la sécularisation.
Aujourd'hui, il est normal d'utiliser un ordinateur : pourquoi les gouvernements
devraient-ils se priver de l'outil informatique pour le contrôle des populations,
qu'ils ont toujours pratiqué ? Il est très admissible de mettre
une caméra à sa porte d'entrée pour identifier la personne
à qui l'on permet de pénétrer dans sa propriété
: pourquoi ne filmerait-on pas en permanence les moindres déplacements
des gens dans les espaces publics, à l'extérieur comme à
l'intérieur ? Tout cela est normal, c'est-à-dire que tous le tolèrent.
Et mérité : on ne subit jamais que ce que l'on trouve tolérable
- idée sur laquelle je reviendrai.
Mais - et c'est la question à laquelle je réfléchis le
plus ces temps-ci - est-ce que la définition d'une norme en matière
de surveillance doit forcément aller en se renforçant ? Est-ce
que nous sommes encore prêts, " pour notre sécurité
", à accepter plus de fichages, contrôles, répressions
et humiliations ? Est-ce qu'un renversement dans l'évaluation des besoins
de renseignement peut se produire de part ou d'autre ? Et sinon, peut-on définir
une limite au développement des politiques de surveillance, et à
leur usage des toujours plus efficients moyens technologiques ? En fait, sommes-nous
dans un temps de progrès ou de régression ?
Les chroniques de Preov - n°2
Corses, nucléaire et otages
Je ne sais pas si vous avez vu l'excellent dessin de Plantu dans Le Monde, intitulé
" les 500 signatures de Charles Pasqua " et représentant le
Corse matois poursuivi par une nuée de magistrats brandissant des convocations
judiciaires. En plus d'être savoureusement ironique quant aux prétentions
présidentialo-souverainistes dudit septuagénaire (jusque dans
les rangs duquel le flic Chevènement s'en vient d'ailleurs recruter des
lansquenets et sous-fifres répupuploploblicains : tremblez, sauvageons
!), l'image nous rappelle à point nommé l'hallucinant nombre de
casseroles que traîne Pasqua derrière lui. En quelques années
d'exercice au ministère de l'intérieur, il a en effet réussi
à se commettre de toutes les manières imaginables en Afrique (Elf),
en Asie (frégates de Taiwan) ou en France même (les comptes du
RPF, parti fondé peu après son départ) ; mais c'est plutôt
à son passé plus lointain et à sa brillante action géopolitique
au Moyen-Orient, à savoir la bien belle histoire de la libération
des otages libanais, que je voudrais m'intéresser aujourd'hui. Cette
affaire, exhumée récemment et avec force détails par la
presse, me semble éloquente à plusieurs points de vue.
Corseries
D'abord, parce qu'elle montre bien la mainmise des Corses sur la plupart des
barbouzeries commises sous nos latitudes ou dans nos colonies économiques.
Pasqua et affidés, Marchiani and co, Falcone et son réseau (pour
ne parler que d'eux) ont en effet rendu moult menus services à la République,
qui les a bien payés en retour : c'est un fait remarquable qu'il y a,
jusqu'à Jospin II et le départ de Zuccarelli, toujours eu un Corse
au gouvernement, quelle qu'en soit l'orientation politique (et souvent à
un poste-clé) ; la division de " l'île de beauté "
en deux départements, qui est une totale absurdité d'un point
de vue administratif, permet opportunément un dédoublement des
magouilles préfectorales (marchés publics truqués, trafic
d'influence sur cadastre, pots-de-vin et détournements divers) ; quant
aux mannes que représentent les subventions non seulement nationales
mais aussi européennes à l'agriculture, au développement
ou à la décentralisation, elles me semblent particulièrement
mises à profit outre-côte d'Azur (Ajaccio a besoin d'un quatorzième
lycée, mon troupeau de moutons a quintuplé de taille en un an
et demi, construisons une belle clinique pour vieux à Bastia, le maire
du village a de vastes projets de développement de l'irrigation des chataîgners
de la colline d'à côté, etc).
On opposera sûrement à ces faits la prétendue lutte des
" militants indépendantistes ", modernes hérauts du
combat contre l'Etat jacobin-répressif-centralisateur ; mais bon, c'est
clair qu'il y a tout de même un beau gâteau à se partager,
et si, avec une dizaine de potes, on en veut nous aussi une belle part, il est
assez pertinent de parader en paramilitaires cagoulés, Uzi en bandoulière,
devant une troupe journalistique convoquée dans le maquis ad hoc ; les
revendications exprimées à cette occasion n'ayant d'ailleurs pas
besoin de dépasser le stade du bidon (l'enseignement du corse, vague
succédané d'italien ; le regroupement des " prisonniers politiques
" qui sont pour la grande majorité d'entre eux des truands sans
engagement d'aucune sorte ; le leitmotiv de l'amnistie, dont on sait pertinemment
qu'elle ne concernera, comme d'hab, que les chefs de bande, c'est-à-dire
Talamoni et pas le poseur de plastic de base, ou le préfet et pas le
gendarme ; ou encore la dévolution de plus de pouvoirs et d'autonomie
à la Corse, qui ne serait qu'une vague terre gaste sans les aides de
toute sorte dont il était question plus haut). Et il ne me semble pas
particulièrement étrange que les médias ne relayent que
les discours de ceux-là, qui me paraissent ne représenter qu'eux-mêmes,
une minorité de minorité qui crée une " zone de non-droit
" étant quand même un thème nettement plus vendeur
que la lassitude ou l'indifférence des autres insulaires.
Notons que je ne reproche au fond rien à ces pragmatiques nationalistes
(disons plutôt, à ces efficaces individualistes), bien au contraire,
il me semble que j'agirais exactement de la même manière à
leur place. S'il me suffisait, pour que l'autorité républicaine
chie dans son froc et finance très largement mon autonomie et mon épanouissement
personnels, de me la jouer un peu ribellu avec les potes dans nos costumes moulants
de maquisards, puis de faire exploser l'une ou l'autre gendarmerie avant de
publier deux ou trois communiqués vengeurs sous une appellation baroque,
pourquoi m'en priverais-je ? Travellers et teufeurs, faites des stages intensifs
de TAZ subventionnée en Corse.
Autre conséquence intéressante dudit feuilleton de Beyrouth, où le vilain RPR fit moult déloyales surenchères sur la vertueuse action de l'ambassadeur Rouleau, un rappel opportun de la situation internationale du point de vue du Nucléaire. On se rappelle tous, en effet, les tronches de " nos camarades détenus depuis 453 jours dans les geôles libanaises ", à chaque journal télévisé dans la première moitié des années 80 ; mais ce qu'on n'a jamais vraiment su, c'est pourquoi diable les Marcels (Carton et Fontaine) avaient été enlevés par le Hezbollah. Après tout, ces éminents membres de la représentation française ne faisaient que servir leur pays, c'est-à-dire pratiquer l'usuel lobbying diplomatico-militaire en Liban/Syrie ! Il y a en fait là-dessous une piquante affaire d'atome.
L'atome, sa vie, son uvre
(Cette partie est un peu du copier/coller, mais il m'a semblé opportun
d'insérer ces rappels pour ceux qui, comme moi, manquent de culture scientifique).
Mais - d'abord - l'atome, qu'est-ce que c'est ? C'est ce qui constitue universellement
la matière physique, vivante ou inanimée, solide, liquide ou gazeuse.
Les atomes sont eux-mêmes, on le sait, constitués de particules
élémentaires : les protons et les neutrons, qui forment ensemble
le noyau de l'atome, et les électrons, qui gravitent autour du noyau.
L'énergie nucléaire, qui est ce qui nous intéresse ici,
est produite à partie des particules composant le noyau des atomes. Neutrons
et protons existent en nombre variable dans les noyaux des atomes. Le noyau
le plus simple, l'atome d'hydrogène, est constitué d'un seul proton.
Le noyau de l'atome d'oxygène est plus complexe : il comprend 8 protons
et 8 neutrons. Le noyau de l'atome d'uranium est celui qui contient le plus
grand nombre de particules : 92 protons et 143 ou 146 neutrons. Une énergie
prodigieuse, appelée énergie de liaison, assure la cohésion
des particules du noyau. Une partie de cette énergie peut être
libérée quand le noyau subit une fission, c'est à dire
quand on projette sur lui un neutron qui le fait éclater en deux. On
obtient alors deux noyaux plus petits, qui ont une énergie de liaison
supérieure à celle du noyau initial.
L'énergie mise en jeu au cours de la réaction nucléaire
n'est autre que la différence entre les énergies de liaison des
noyaux avant et après la réaction. Lors du choc d'un neutron sur
un noyau, trois phénomènes peuvent se produire :
- un choc élastique : les particules rebondissent l'une sur l'autre sans
produire de réaction nucléaire ;
- une capture du neutron par le noyau : ce phénomène n'a pas d'utilité
pour la production d'énergie ;
- une fission du noyau, accompagnée d'un important dégagement
de chaleur.
Tous les noyaux ne sont pas susceptibles de subir la fission. Dans la nature,
un seul noyau est ainsi capable de se casser en deux en libérant de l'énergie
: c'est le noyau d'uranium 235, et à cause de ça, on l'appelle
fissile. Quand un neutron rencontre un noyau d'U 235 fissile (tra-la-la), le
noyau se trouve déséquilibré et se coupe en deux morceaux
appelés produits de fission.
Au moment du choc avec le neutron, ces produits de fission sont éjectés
à grande vitesse. Leurs ralentissement progressif dégage une chaleur
intense. C'est cette chaleur qui est récupérée par le fluide
caloporteur dans une centrale nucléaire. La production d'électricité
dans la centrale nucléaire suppose que la réaction de fission
puisse s'entretenir et produire un dégagement permanent d'énergie
: il faut que les neutrons libérés lors de la fission puissent
aller frapper à leur tour d'autres noyaux fissiles, suivant le processus
de la réaction en chaîne.
Or, la probabilité pour que les neutrons libérés rencontrent
d'autres atomes fissiles est très faible :
- d'abord, parce que la proportion de noyaux fissiles dans l'uranium naturel
n'est que de 0,7% ;
- ensuite, parce-que la vitesse des neutrons libérés par la fission
est de 20 000 km/s, et qu'à cette vitesse, leur chance de provoquer la
fission d'un noyau est très faible.
Deux procédés sont utilisés pour augmenter les chances
de rencontre des noyaux fissiles par les neutrons, à savoir l'enrichissement
de l'uranium naturel en U 235 fissile, et le ralentissement des neutrons, par
une substance qui a la propriété de réduire leur vitesse
sans les absorber : le modérateur. Le fluide caloporteur, quant à
lui, transmet la chaleur produite dans le réacteur en même temps
qu'il assure son refroidissement. La combinaison du modérateur, du combustible
et du caloporteur suffit à définir ce que l'on appelle une filière
nucléaire.
Les premières centrales nucléaires construites en France entre
1956 et 1969 (Marcoule, Saint-Laurent des Eaux, Chinon, le Bugey) faisaient
partie de la filière dite " UNGG " (Uranium naturel comme combustible,
Graphite comme modérateur, Gaz carbonique ou hélium comme caloporteur).
Nucléaire : la voix de son maître
Et c'est là que le bât blesse : on nous a bien fait rentrer dans
la tête, à l'école, le mythe de l'indépendance énergétique
et stratégique française, comme quoi le Général,
grand homme d'Etat (cf. ses innombrables et immondes hagiographies parues dans
le courant des années 90), avait contribué à faire de la
France une grande Nation sur l'échiquier international en impulsant le
programme de recherche qui la dota de l'arme nucléaire en même
temps que de centrales qui en cas de guerre gnagnagna ; si bien qu'une grande
majorité des gens reste persuadée que l'on siège au conseil
de sécurité de l'ONU par la seule grâce de nos brillants
politiciens et ingénieux ingénieurs atomistes. Las ! Le mythe,
une fois de plus, ne résiste pas à l'examen des faits.
En effet, les réacteurs nucléaires de cette fameuse filière
UNGG ont commencé par être développés expérimentalement
aux Etats-Unis en 1946. Ce qui suffit, pour commencer, à démonter
un des plus gros mensonges de la propagande canonique du lobby nucléaire,
comme quoi le nucléaire civil serait absolument distinct du nucléaire
militaire (EDF affirme encore aujourd'hui que " ça n'a rien à
voir ") - mais si, dans une centrale, on peut produire de l'énergie
à partir d'un vague trafic des forces constitutives de la matière,
pourquoi ne pas utiliser ces mêmes forces pour la destruction massive
d'êtres humains ? C'est hélas le raisonnement inverse qui a prévalu,
et on a attendu les centaines de milliers de morts de Hiroshima et de Nagasaki
pour se dire que le principe de la fission atomique pouvait être appliqué
à la production d'énergie. Ainsi, le CEA français, dont
la mission est de promouvoir l'usage du nucléaire dans les sciences,
l'industrie et la " Défense " (appellation qui m'a toujours
fait marrer), n'a été créé qu'en 1945 (tiens !),
alors que c'est un gars de chez nous, Becquerel, qui a mis en évidence
le phénomène de la radioactivité en 1896. Mais c'est une
autre histoire.
Le réacteur de nos jolies centrales UNGG est donc expérimenté
quelque part au fin fond du désert de l'Arizona, puis, parce qu'on ne
sait jamais, ces saloperies-là pouvant fort bien nous péter à
la gueule comme on les a faites péter à la gueule des niakoués,
la première centrale dédiée à la production d'électricité
est construite en 1954 (pas sûr de la date) en Angleterre, à Hinkley
Point. Les matériaux combustibles, le circuit et évidemment l'ensemble
de la technologie en sont étatsuniens.
A partir de là, pourquoi réinventer la roue ? L'OTAN prévoit
dans ses statuts la collaboration défensive entre pays membres, c'est-à-dire
l'échange d'informations d'ordre technologique, et plutôt que de
reconstruire en moins bien et en suant sang et eau un système existant,
on va tout bonnement récupérer ce qui se fait déjà
en l'adaptant un tout petit peu. Et voilà les glorieuses réalisations
de la COGEMA sur pied. Mais pourquoi les Etats-Unis bradent-ils bêtement
leur savoir-faire ? Pardi, en échange d'un droit de regard sur ce qui
se fait dans ce domaine ; ils s'assurent à long terme une mainmise géopolitique
totale sur l'usage du nucléaire militaire et civil dans les pays occidentaux.
Mais avant de voir comment les responsables du Foreign Office ont été
directement responsables de l'explosion d'un magasin Tati en 1986 à Paris,
ne résistons pas au plaisir de voir ce bon de Gaulle assurer la grandeur
de la France.
Errances gaulliennes et connerie gauloise
En effet, après avoir fait jeter les Algériens à la Seine
par son sbire Papon, et avant d'envoyer les CRS matraquer de la chienlit, une
des principales préoccupations de Gros-Nez fut de " redonner à
la France son rôle premier sur la scène internationale ",
c'est-à-dire de faire un peu le kakou au sein de l'OTAN, et surtout de
faire construire plein de centrales rien qu'à nous, parce que ça
la fout mal d'être doublement dépendant, d'un côté
du pétrole des Arabes (pour que les Français puissent allumer
leur télé et y comprendre la noblesse de mon sacerdoce politique),
et de l'autre de la technologie des Etatsuniens (parce que mon pays est un grand
pays, et aussi parce qu'il faut bien que je donne dans l'antiaméricanisme
si je veux récupérer un peu des voix des communistes). Dépendance
double qui sera d'ailleurs confirmée dans la douleur en 73, mais c'est
encore une autre histoire.
On va donc cesser de construire de ces UNGG à la con, qui ne produisent
pas grand'chose (1 Mw par mètre cube de cur) et qui coûtent
des tonnes de brouzoufs à mettre sur pied (ça tourne à
l'uranium naturel, qui ne contient que 0,7% de fissile, et il faut donc faire
des réacteurs immenses), et faire voter par le Parlement-à-ma-botte
les crédits pour la mise sur pied d'un vaste parc de centrales REP :
Réacteur à Eau sous Pression. C'est une filière très
différente, en ce que le combustible est de l'uranium enrichi (produit
par EURODIF, qu'on a soin de créer à cette occasion, et qui sera
au centre de la magouille avec l'Iran) et le modérateur de l'eau toute
simple, mais soumise à une intense pression pour éviter qu'elle
ne se vaporise, ce qui lui permet de dépasser allègrement les
300°.
Riche idée, sauf que pour pressuriser de l'eau comme ça, il faut
un putain de pressuriseur, et ça ne se trouve pas sous le sabot d'un
cheval. Avec ça, y'a la turbine qui déconne, enfin bref, les différents
essais français pour développer une technologie indépendante
sont à peu près totalement foireux. Si bien que l'on est finalement
obligé de recourir à ceux qui savent faire, et je n'ai pas besoin
de dire de qui il s'agit. Ainsi, Fessenheim, Dampierre et le reste, soit la
vaste majorité du parc électronucléaire français,
fonctionne encore aujourd'hui avec des composants également sous licence
etatsunienne. Merci qui ?
Allah, la bombe et les otages
On en arrive à la période qui nous intéresse. En 1974,
l'Iran et l'Irak se font la guerre, mais Saddam est encore gentil, et c'est
à lui que tout le monde vend des armes. Par contre, on aimerait bien
rester copain avec l'Iran aussi (le Shah est un vieux pote, et puis on est en
plein dans le premier choc pétrolier). Alors qu'est-ce qu'on fait, on
lui promet de ces jolies centrales nucléaires qu'on est en train de bidouiller
chez nous, et de lui refiler avec ça de notre bel uranium enrichi (parce
qu'on n'en trouve pas partout, seulement aux Etats-Unis et chez leurs satellites
; les centrales de l'Est, y compris Tchernobyl, sont de la filière RBMK,
qui tourne à l'oxyde d'uranium). Tope-là, cochon qui s'en dédit,
l'Iran en guerre prête un gentil milliard de dollars à EURODIF,
et on commence les livraisons dans deux ans.
Mais hélas, les Etats-Unis ont vent de l'affaire (ils finissent toujours
par savoir), et mettent le holà. Faut pas déconner, nous disent-ils
en substance, on vous file des composants qu'on s'est faits chier à développer,
et vous, tout ce que vous trouvez à faire, c'est de les monnayer à
des péquenots d'Asie Centrale ? Pas bien ça. Pas correct, et nous
dirions même déloyal. Songez que nous pourrions mettre un terme
à notre collaboration dans divers domaines, par exemple, au hasard, révoquer
les accords douaniers ? Hou là là, surtout pas, leur répond-on,
plutôt laisser les iraniens à la bougie qu'avoir les marchands
de vin dans la rue, hein. Et les exportateurs nucléaires d'atermoyer,
et les diplomates de se répandre en paroles rassurantes.
Mais on ne peut pas renvoyer l'affaire aux calendes grecques, on a promis et
on a reçu de gros sous, et c'est un grand soulagement pour tout le monde
que finisse par survenir, en 79, la révolution islamique. D'ailleurs,
une révolution, ça ne se fait pas en brandissant des drapeaux,
et le carnet de commandes de la société Luchaire (exportateur
d'armes français) est curieusement rempli pour la Perse à la fin
des années 70. Déduire de là le soutien au mouvement de
Khomeiny par la France sous le patronage des Etats-Unis, ce serait abusivement
mettre en doute l'indubitable bonne foi de nos dirigeants de l'époque,
Giscard ayant montré dans ses petits arrangements diamantifères
avec Bokassa qu'on pouvait lui faire absolument confiance.
Toujours est-il que les ayatollahs, décidément pas cons ou alors
raisonnablement mis au courant, renoncent tout de suite à l'idée
de recevoir de l'uranium et des centrales, mais réclament par contre
le remboursement du prêt, et avec les intérêts s'il vous
plaît. Ah ben merde alors : n'oublions pas que les gentils, c'est l'Irak,
et qu'oncle Sam verrait d'un mauvais il qu'on rende leurs sous aux iraniens.
Et puis, ils sont agités, ces mahométans-là, ils envoient
des libanais (le commando Naccache, obéissant à une fatwa lancée
par le spécialiste Khomeiny) essayer de trucider l'ex-premier ministre
du Shah (Chapour Bakhtiar) en plein Paris. Ca fait désordre, tout ça.
Mais bon, on a autre chose à faire quand on s'appelle Mitterrand et qu'on
vient de se faire élire sur des promesses qu'il va bien falloir ne pas
tenir. Et puis tiens, on va mettre Dumas aux affaires étrangères,
c'est un roublard, il saura les contenir à défaut de les contenter.
Mauvais calcul, mon vieux François : le 22 mars 85, le Hezbollah ("
parti de Dieu " libanais, en fait contrôlé par bien sûr
la Syrie et donc par l'Iran) enlève nos deux chers diplomates à
Beyrouth. Le 22 mai ce sont un chercheur du CNRS (Seurat, qui mourra du cancer
pendant sa détention) et un journaliste (Kauffmann, reporter de choc
à l'Evenement du jeudi) qui vont croupir dans quelque geôle moyen-orientale.
L'année d'après, ce sont quelques joyeux et sanglants attentats
à Paris (Hôtel Claridge, Fnac jeunes). C'est la merde tout ça,
et Mit-Mit envoie son négociateur de choc, Rouleau. Simplement, il semblerait,
comme tout le monde l'a lu dans Le Monde ou dans Libé, que la droite,
à peu près certaine de gagner les législatives, aie fait
capoter par la surenchère des tractations pourtant bien engagées.
Et c'est ici que l'on retrouve notre bon vieux Pasqua, qui trouve dès
ce mars 86 une place de choix à l'Intérieur, et provoque par son
intransigeance une seconde vague d'attentats (qui font, ceux-là, treize
morts). Il me semble logique qu'il aie dû se résigner à
cracher de la thune pour permettre à son boss de l'époque de poser
sur la photo de la libération des otages trois jours avant l'érection
pestilentielle. Et pourtant il le répète : " nous n'avons
rien cédé ", " tout s'est passé d'Etat à
Etat ".
Cependant on est en droit de se demander à quelles obscures tractations
se sont livrés, envoyés par Pasqua, le grand Marchiani (sous le
pseudonyme de Stéfani) et le petit Safa (Iskandar de son prénom,
un de ces innombrables intermédiaires que la France entretient au Moyen-Orient
pour ses ventes d'armes et autres magouilles transfrontalières) à
partir de mai 86, et ce qu'ils ont pu en retirer personnellement. Difficile
de le savoir, entre Libé qui dramatise comme d'habitude (" livraison
d'armes à l'Iran et rançon aux ravisseurs, qui pourrait d'ailleurs
provenir des commissions sur les armements " ; " 10 millions de dollars
au Jihad islamique ", etc) et Le Monde qui ne veut surtout pas se mouiller
(" rien n'atteste pour l'heure le versement d'une rançon ").
Quant au Figaro, que je ne lis pas, il se pourrait bien qu'il ne dise absolument
rien.
En tous cas, et pour finir, je dirais que la France ne serait plus la France sans sa belle industrie nucléaire, modèle de transparence universellement reconnu, ni sans cette peuplade farouche et fière que sont les Corses, deux constituants inébranlablement constitutifs du célèbre Ridicule français. Aurait-on encore cur à avoir vécu dans un pays qui ne nous offrirait nulle occasion d'hilarité ?
Les chroniques de Preov - n°
3
Pornographie(s)
L'autre jour, au sortir d'une répèt' foireuse (a dix dans une
pièce de 12 m² dans la cave d'une maison de campagne momentanément
désertée par ses marginaux occupants), après avoir pitoyablement
essayé d'enregistrer nos scories musicales collectivistes à l'aide
d'un ordinateur vieux de 10 ans et d'un micro de facture protosoviétique,
je fus témoin - et l'on peut dire acteur - d'une séance de visionnage
intensif de film porno. Sincèrement, ça ne m'était jamais
arrivé. On voyait une espèce de chevelu gommeux introduire interminablement
sa langue dans un trou du cul anonyme, tandis qu'une immonde blondasse siliconée
pompait goulûment son membre noueux, avec force grognements honnêtes
et couinements affectés de part et d'autre, le tout sur fond musical
insipide et baveux. Les cinq ou six mecs présents devant l'écran
ricanaient ostentatoirement, semble-t-il pour masquer l'excitation que provoquait
légitimement chez eux la scène. Moi, je ne bandais pas, j'étais
plutôt abasourdi.
Je ne trouve pas, a priori, ce genre de film dégoûtant ou choquant
(enfin, au moins celui-là, qui constitue, avec la séquence du
cinéma dans Seul contre tous, la totalité de ma culture dans ce
vaste domaine), mais je m'étonne encore du décalage entre l'ambition
avouée de l'uvre à vocation pornographique (support sinon
à branlette du moins à bandaison) et son effet réel sur
un spectateur lambda comme moi (vague malaise, perplexité et recul analytique
peut-être plus approfondi que pour un film non X). Ca me semble un bon
prétexte pour vous livrer pêle-mêle quelques considérations
sur ce complexe phénomène économico-socio-psycholotrique.
Dégradation
Le mot " pornographie " vient du grec Pornè, " prostituée
", et de la bonne vieille racine Graphèin, " décrire
". Il s'agit donc, au début, de montrer des putes en action, et
si possible de tirer jouissance de cette représentation, tiens, salope
! Là-dessus, tout le monde ou presque est d'accord : pour les curés
comme pour (il me semble) une majorité de féministes, " on
asservit un peuple plus efficacement avec la pornographie que par des miradors
" (Soljenitsyne), l'image de la femme donnée dans les produits pornographiques
est " dégradante ", reflète des rapports de domination
sociale, ôte tout sens à l'acte d'amour en le coupant à
la fois de sa source et de sa finalité, et induit parfois des comportements
violents dont les femmes sont victimes.
Idéologie que tout cela ! Evidemment, l'écrasante majorité
des consommateurs de pornographie est constituée d'hommes, parmi lesquels
existent de véritables déséquilibrés, pour qui Greta
la pipeuse ne sera pas une bonne thérapeute ; certes, on représente
les femmes comme des tas de barbaque tous juste bons à se prendre des
coups de bite ; mais, petit un, si on veut améliorer la situation des
femmes, il serait bien plus efficace de prendre des mesures sociales et économiques
concrètes (discrimination positive par exemple) que de s'attaquer à
de simples images ; petit deux, ça ne me semble pas fondamentalement
scandaleux, même sous cette forme réductrice et dévoyée,
de donner à voir du plaisir, qu'il soit masculin ou féminin ;
et, petit trois, les actrices de films X ou les modèles pour magazines
ne sont pas des âmes perdues, et travaillent le plus souvent de leur plein
gré dans ce domaine. Elles sont pourtant globalement ignorées
ou infantilisées, alors qu'il leur arrive de tenir des discours sur la
sexualité, le plaisir ou l'activité féminine fournissant
une alternative intéressante au modèle de représentation
(masculin) prévalant. Je reconnais volontiers que, dans lesdites prises
de position, elles ne montrent pas toujours un fabuleux discernement ; mais
elles ont le mérite de s'exprimer sur des sujets traditionnellement réservés
au couillon de base quand il va boire un coup avec les potes, de proposer ou
promouvoir autre chose les concernant, et parfois d'être entendues, de
par la position que leur confère leur activité professionnelle.
Ce n'est pas forcément une mauvaise chose que Brigitte Lahaie se taille
un succès littéraire avec Moi, la scandaleuse ou que Tabatha Cash
intervienne dans des talk-shows. Plus encore, il me semble très sain
que l'on puisse, comme Catherine M avec sa Vie sexuelle, faire un récit
circonstancié et objectif de ses expériences sexuelles, alors
même que l'on ne dépend pas d'elles pour sa subsistance.
Je crois que l'étymologie et le fait pornographiques renvoient à
des problématiques plus larges qu'à celle, superficielle, de l'image
donnée de la femme. Il s'agirait avant tout de parler de frustration,
et donc de consommation, et donc d'économie.
Cachez ça !
En effet, dans la pornographie, la caractéristique du corps nu est
d'abord qu'il se refuse comme sexe. On peut voir, imaginer, écouter,
mais justement pas toucher/sentir (quoiqu'un futurologue anglais nous promette
l'orgasmatron pour 2012) : le corps en représentation mime la sensualité
en sexualisant l'image. En fait, il s'agit fondamentalement de regarder, mais
on fait plus que regarder, on en retire de l'excitation sexuelle fantasmatique.
Certes, " on voit tout ", mais ce " tout " n'est qu'un succédané
du réel : par exemple, la vision en gros plan d'organes génitaux
a pour fonction revendiquée la restitution du réel avec une promiscuité
maximale, mais d'un réel à mon avis incomplet, où l'acte
est complètement décontextualisé et réduit à
une mécanique linéaire.
C'est une évidence que la pornographie dépoétise, et c'est
aussi l'argument brandi par moult chrétiens, avec ceux de l'accoutumance
à la perversion voire de l'encouragement à l'adultère,
pour agiter frénétiquement leurs petits ciseaux ; on peut ainsi
lire sur le web des perles comme " la censure est un droit fondamental
de la société, c'est le droit aux familles d'être protégés
contre l'agression verbale et par l'image ". En fait, il est préférable
de censurer, n'est-ce pas, puisqu'ainsi on rendra à la femme toute sa
dignité - ceux qui expriment cette idée étant dans leur
écrasante majorité des hommes, croyants et conservateurs qui plus
est, et donc évidemment les mieux positionnés et les plus qualifiés
pour contribuer à l'émancipation de la femme.
Mais il me semble que, de toutes façons, la censure ne protège
en rien la société ou les familles, ne faisant que délayer
les conséquences inévitables de la publication (plus que la liberté
d'expression, c'est la possibilité de s'informer qui je trouve primordiale
: je suis pour la distribution illimitée de Mein Kampf). Plus encore,
elle vient servir les intérêts même de l'industrie du sexe
que ceux-là veulent pourfendre.
L'endroit où l'on voit
Comment ça ? Il est clair que la pornographie a toujours constitué
un marché d'envergure, sachant utiliser les innovations technologiques
à son profit, depuis les premiers daguerréotypes de modèles
grassouillets que l'on achetait à prix d'or au XIXe siècle jusqu'à
la création de Playboy en 1953 (au moment de l'essor de la presse "
grand public "), voire aux larges réseaux de distribution aujourd'hui
omniprésents sur le web (dont le fonctionnement est, soit dit en passant,
très similaire à celui de la production musicale : quatre ou cinq
multinationales ultra-dominantes qui rachètent systématiquement
tout petit label rencontrant un début de succès). Mais il faut
surtout comprendre que, plus que dans le produit en tant que tel, c'est dans
le support médiatique, ou si l'on préfère dans le canal
de distribution, que réside la valeur objective.
Par exemple, soit une photo d'une main féminine recouvrant un pubis également
féminin : selon que l'image paraisse dans une revue pour jeunes quiches,
dans un opuscule crypto-chrétien ou dans un magazine d'art, elle pourra
revêtir le sens d'un appel au contrôle et à l'épanouissement
de sa sexualité par la masturbation, d'une illustration de la dépravation
ambiante, ou enfin d'une possible représentation de la pudeur. Citons
aussi le cellophane dans lequel les publications hard sont emballées,
qui suggère que leur contenu est réservé à un public
très restreint et exerce un indubitable pouvoir d'appel. On voit bien
que la valeur monétaire d'une image dépend en premier lieu du
sens qui lui est accordé par son consommateur potentiel : plus c'est
interdit, plus c'est excitant, et plus on sera prêt à payer cher.
Les gens se sont rués pour voir Baise-moi à partir du moment où
il était question que ce film soit classé X, et, encore plus fort,
la menace d'interdiction a constitué l'argument principal de la promotion
d'un film coréen du même genre (la pub dans Libé disait
littéralement " allez vite le voir avant qu'on le censure ").
C'est pourquoi les producteurs ont plus intérêt qu'autre chose
à voir des restrictions apportées à la diffusion de matériel
pornographique. Je crois que les je ne sais pas combien de milliards de dollars
de chiffre d'affaires annuel générés par ce commerce fondraient
comme neige au soleil si les sociétés étaient idéalement
permissives. Ce qui n'est bien évidemment qu'utopie, le couple production
pornographique/ordre moral étant indispensable au maintien des individus
dans un état d'irresponsabilité.
Sexe utilitaire
Je m'explique : c'est une évidence que la " loi du marché
", c'est-à-dire celle de l'offre et de la demande, régit
la presque totalité des échanges humains, y compris la vente et
l'achat de films ou magazines de cul. Et le premier mécanisme de développement
d'un marché, c'est la nouveauté, qu'elle soit réelle ou
seulement perçue : il est difficile de faire payer quelqu'un pour ce
qu'il a déjà. Donc, l'image pornographique a une durée
de vie commerciale limitée (son attractivité s'émousse
avec le temps et la répétition : un film mettant exclusivement
en scène des éjacs faciales lasserait rapidement son spectateur),
et doit comporter des éléments porteurs de nouveauté, ou
mieux encore, d'exotisme, de rareté ou d'exception. L'invraisemblable,
l'inattendu, l'improbable, l'impossible, sont ainsi des ingrédients habituels
de la pornographie.
Et voilà la différence avec la pub, que l'on s'empresse bien souvent
de trouver " pornographique " : en publicité, dénuder
ajoute de la valeur au produit que l'on doit vendre (même à un
niveau langagier : il arrive que l'on voie des pubs mettant en scène
du méta-érotisme, comme celle remarquée récemment
pour une voiture française, où l'on voit, de dos, une infirmière
penchée sur le capot ouvert du véhicule, et où la légende
indique " (
) les meilleurs instruments de précision ",
assertion renvoyant en réalité au cul du modèle qui, le
premier, attire le regard) ; en pornographie, le corps ne vaut rien et peut
même devenir objet de dégoût, il y a dans l'image des traits
symboliques spécifiques qui renvoient à la motivation du spectateur
(transgresser l'interdit ou accéder à une sexualité perçue
comme étant de meilleure qualité que celle qu'il a d'ordinaire).
Les femmes y sont systématiquement sexuelles et ne demandent pas de sentiments,
ce qui a une réelle valeur commerciale dans une culture qui, comme la
nôtre, valorise l'engagement.
Si le consommateur de pornographie achète cassettes ou magazines, il
achète surtout, en dernière analyse, le droit de ne pas avoir
à séduire pour voir un corps féminin ; le droit de ne pas
avoir à être performant sexuellement pour obtenir du sexe ; le
droit d'être quelqu'un de différent de la majorité, sans
être sexuellement rejeté ; le droit de ne pas être un modèle,
et de quand même sentir qu'on considère son sexe assez pour le
faire jouir ; en bref, le droit, illusoire et temporaire, de ne pas devoir jouer
à être cet homme que la société souhaite. C'est-à-dire
essayer d'échapper à l'enfermement entre une sexualité
mal assumée et les exigences multiples du stéréotype masculin
générique, ce qui est en fin de compte pas mal adolescent. La
pornographie joue donc un rôle très précis dans l'organisation
sociale, celui de soupape de sécurité : qu'adviendrait-il si le
déviant vivait sa déviance au grand jour ? Bien vite, la pratique
assumée d'une sexualité différente le conduirait à
assumer aussi ses idées critiques sur l'organisation sociale, et ainsi
à se radicaliser et à agir - et adieu, impôt sur le revenu,
cabinets ministériels, collège unique, marchés publics,
communautés urbaines, adieu. Mais ne rêvons pas trop.
Pour conclure, je dirais qu'il me semble absolument vain de lutter contre la pornographie, qui est une réalité sociale inaliénable, d'autant plus prospère ou proliférante que l'on cherche à la circonscrire à coups de credo (cf. l'actuelle explosion du marché du sexe aux Etats-Unis, due à la vague de puritanisme patriotique impulsée par benêt-grandes-oreilles et les vilains lanceurs d'avions). Si réellement on souhaitait éradiquer ce phénomène, on nous laisserait un peu plus choisir à quoi on souhaite ressembler : sans demande, plus d'offre, et la demande de pornographie n'est, comme on l'a vu, que le produit de l'intense pression normalisatrice qu'exerce la société sur les individus. Et vivent les femmes nues.
Et où est Ben Laden ?
Parce que ça me passe par la tête, et pour distraire un peu de
cette chronique aussi rébarbative qu'incomplète (je n'ai par exemple
rien dit sur la pornographie homosexuelle et l'inégale valorisation selon
la catégorie de contenu qui y est la règle), je vais vous révéler
un grand secret : je sais où est Ben Laden. Il habite depuis près
d'un mois dans les gorges de Pankissi, qui sont, avec certains états
sud-américains ou la plus grande partie du territoire russe, un des endroits
les plus chauds de la planète. Cette région, encore plus abondante
en caches naturelles que les montagnes d'Afghanistan, se trouve sur le territoire
géorgien, à la frontière avec la Tchétchénie.
Les autorités n'ont aucune espèce de contrôle sur ce qui
s'y passe, il y a bien des troufions sensés patrouiller, mais 95 % d'entre
eux sont complètement fracassés. Le coin est en effet LA plaque
tournante pour l'opium et l'héro d'Asie centrale, qui vont traverser
la Géorgie et la Turquie avant de venir défoncer dans nos campagnes.
On y a remarqué un nombre étonnant de femmes en burqa, alors que
les réfugiés tchétchènes qui y résident aux
côtés d'un impressionnant aréopage international de délinquants
sont plutôt praticiens d'un Islam soft.
Du coup, l'arrivée d'un détachement Etatsunien y est imminente.
Qui c'est qui est content, c'est les Russes, qui trouvent là une double
justification de leur génocide organisé en Tchétchénie
et de leurs visées colonialistes sur Caucase, ils en oublient les jeux
olympiques. Qui c'est qui n'est pas content, c'est les Géorgiens, qui
ont déjà bien assez mal à la souveraineté avec les
quatre bases russes installées sur leur territoire. Enfin, si j'étais
un peu plus téméraire, j'irais bien y passer un peu de temps,
histoire de rigoler un brin en voyant les vaillants marines se faire dépouiller
jusqu'au slip.